La mission de Paul Pelliot au Turkestan chinois et en Chine (1906-1909) : les clefs d’un succès
- Les Français bons derniers
- Un programme déterminé, mais des objectifs imprécis
- Des préparatifs minutieux
- Mannerheim, compagnon vite quitté
- Premières recherches à Kachgar
- Tumushuke, premiers succès
- Koutcha, découvertes et déconvenues
- Le petit monde de l’École française d’Extrême-Orient
- Ouroumtchi, le tournant
- Dunhuang, la réussite
- Pékin-Hanoï, le retour
- Pékin encore
- Paris, le triomphe
Pékin encore
Ce n’est que le 21 mai 1909 que Pelliot repart pour Pékin où il acquiert environ 30 000 fascicules d’ouvrages chinois, soit plus de 2 000 ouvrages. Il dispose pour cela du reliquat de ses crédits de mission168
« À la fin de ma mission à travers l’Asie centrale, je pris alors sur moi de consacrer tous les crédits dont je pourrais encore disposer à l’acquisition de livres chinois qui, dans une certaine mesure, permettraient à la Bibliothèque Nationale de répondre aux exigences plus grandes de la sinologie nouvelle. Bientôt cependant je m’aperçus que ces crédits ne me laisseraient pas une marge suffisante, et j’acquis alors à mes frais une collection supplémentaire qui ne faisait pas double emploi avec la première, prêt à la céder si la Bibliothèque Nationale désirait la reprendre, et dans le cas contraire encore plus prêt à la garder. »169
Dans sa quête, Pelliot reçoit également des dons de Pei Jingfu, de Luo Zhenyu 羅振玉, de Dong Kang 董康 et du vicaire apostolique de Pékin, Mgr Jarlin.
En même temps, Pelliot est retourné en Chine avec une dizaine de manuscrits de Dunhuang qu’il a gardés avec lui. Il les montre d’abord à Duanfang et d’autres à Nankin, puis à Luo Zhenyu à Pékin. Ces manuscrits sont aussitôt photographiés, et bientôt reproduits dans plusieurs publications, dont la première paraît quelques semaines à peine après qu’ils ont été révélés. Luo Zhenyu fait part ainsi de cette découverte à Wang Kangnian 汪康年, rédacteur en chef du journal Shiwu bao 時務報 :
« J’ai à vous faire part de plusieurs nouvelles : une excellente, une abominable, et une tragique. Cela concerne des manuscrits et des textes xylographiés des grottes de Dunhuang rédigés entre les Tang et les Cinq Dynasties. Ces documents ont été obtenus par le Français Pelliot. L’abominable nouvelle, c’est que la plus grande partie a été envoyée en France. Une petite partie se trouve dans la capitale (ce sont tous des ouvrages non recensés dans les traités bibliographiques des Sui et des Tang). L’excellente nouvelle est qu’avec quelques amis, nous avons réuni assez d’argent pour reproduire en fac-similé huit d’entre eux et en copier un. Nous négocions avec Pelliot pour qu’il photographie la partie déjà expédiée à Paris. J’ai appris qu’il restait encore des documents dans la cache. Il faut impérativement avertir les autorités au plus vite, et contacter Monsieur Mao Shi 毛實. Nous ne savons pas ce qui reste, mais s’il reste quoi que ce soit, il faut absolument se hâter. Nous avons déjà laissé passer une occasion. Si nous commettons la même erreur, ce sera une bien tragique nouvelle. J’ai quelques feuillets du catalogue de la grotte bibliothèque, que je ferai imprimer pour vous les envoyer. J’imagine que vous serez à la fois heureux et triste en recevant ces nouvelles. »170
Avides de mieux connaître le contenu des précieux manuscrits, les érudits chinois demandent à Pelliot d’en faire faire des photographies lors de son retour en France. Duanfang aurait ainsi déclaré à Pelliot : « C’est (…) une question de vie ou de mort pour l’érudition chinoise »171
À Pékin, Pelliot semble vouloir s’attarder alors qu’on l’attend à Paris de toute urgence. Dès le mois de décembre 1908, sa mère lui enjoignait de rentrer au plus vite :
« Après entretien avec Mr Senart, le 11 Xbre, ton père t’a télégraphié pour te faire connaître le sentiment de ces Messieurs au sujet de ton retour jugé nécessaire le plus prochainement possible. Il est probable que cette dépêche ne t’est pas encore parvenue puisque ta réponse demandée par dépêche n’est pas arrivée. Quelles que soient les bonnes raisons qui puissent militer en faveur d’un séjour à Pékin, ce projet ne trouve aucun écho et l’Académie a hâte de voir revenir la mission et de pouvoir prendre connaissance de ses résultats avant la fin de l’hiver ; c’est considéré comme urgent et d’ailleurs, je pense que tu auras eu, à ce sujet, l’opinion de Monsieur Senart. »173
En février 1909, le père du sinologue, à son tour, sans vouloir influencer son fils, souhaite lui aussi son retour, autant par affection que pour répondre à la demande de Senart et Cordier :
« J’ai reçu ta lettre datée 6 janvier et écrite de ton séjour favori : tu me parais un peu nerveux. Le tennis ne peut que t’être utile, à tout point de vue.
M. d’Ollone a soigné et soigne encore sa mission : les journaux sont remplis de ses éloges et de la richesse de ses documents. Profane, je ne sais qu’en penser.
Pour ce qui est de la prolongation de ton séjour en Extrême-Orient, je ne peux, comme père, que manifester le désir de te voir. Mais, habitué à ne pas voir tous mes projets se réaliser, je n’ai manifesté ni ne manifeste aucun regret, encore moins un reproche, même anodin. Tu es juge de ton avenir et je m’incline, mais ces Messieurs n’ont pas la même philosophie. D’où la dépêche envoyée, sur la prière et avec la rédaction de M. Senart. »174
Quelques jours plus tard, avant même que Pelliot ne se rende à Pékin depuis Hanoï, c’est au tour de Nouette de se faire le messager de Senart :
« D’Ollone est de retour et s’amuse avec Sven Hedin à accaparer les journaux illustrés. Toutes ces raisons font que MM. Senart et Cordier vous réclament le plus tôt possible en France, ils ont dû d’ailleurs vous écrire et vous faire écrire à ce sujet. Le Journal des Débats à la suite de l’affaire de Morgan disait que les missions françaises ne produisaient rien et qu’on n’en entendait jamais causer tandis qu’à l’étranger les résultats étaient probants et rapides. »175
À ce moment les 74 colis (fig. 1) de la mission sont à Paris depuis le 16 janvier. Après un dédouanement qui a duré trois semaines, les caisses ont été réparties entre le Muséum, le Louvre et le nouvel atelier de Nouette.
Pelliot se décide donc à revenir à Paris, où il arrive le 24 octobre 1909.