La mission de Paul Pelliot au Turkestan chinois et en Chine (1906-1909) : les clefs d’un succès

Le 18 octobre, la mission Pelliot quitte Kachgar en direction de Koutcha, par Aqsou. À mi-chemin environ entre Kachgar et Aqsou se trouvent Maralbachi (actuellement Bachu 巴楚) et Tumushuke, sites signalés par Sven Hedin. Là, Pelliot et ses compagnons entreprennent des fouilles sur les sites de Toqquz-Saraï (fig. 1), les « Neuf hôtelleries », et de Tumushuke, le « Bec » ou le « Promontoire ». Elles durent un mois et demi et permettent de dresser un plan méthodique d’un important temple bouddhique. La mission y collecte nombre de têtes en terre cuite, plus de cent, montrant les vestiges d’une tradition hellénique : « Une petite chapelle nous a fourni à elle seule une trentaine de têtes de moyenne et de petites dimensions (fig. 2), et des bustes dont les draperies trahissent l’origine hellénique. Certaines têtes qui appartinrent sans doute à des Bouddha, ont l’air d’Apollons, et quelques corps de femmes sont dans des poses de Vénus debout, nues jusqu’à la ceinture »⁸⁹Fermer89Lettre à Senart, Toumchouq, 5 novembre 1906, in P. Pelliot, Carnets de route, 1906-1908, Paris, Les Indes savantes, 2008, p. 357..

Les monnaies et les morceaux de documents écrits, très fragmentaires, se révèlent de moindre importance, comme le souligne Pelliot dans sa lettre-rapport adressée au ministre de l’Instruction publique⁹⁰Fermer90Papiers Pelliot, musée Guimet, Mi 43. Une grande partie de cette lettre a été publiée in BEFEO 6/3-4, 1906, p. 482-486. Daté du 14 décembre, le rapport semble avoir été commencé le 19 novembre.. Dans les domaines couverts par Vaillant, si la partie astronomique et topographique a pu être remplie, la région ne se prêtait pas au recueil de collections d’histoire naturelle. En revanche Pelliot a rencontré à Tumushuke son premier vrai succès. Peu après son arrivée, le 5 novembre, il pouvait affirmer à Senart : « Enfin, nous ne reviendrons pas bredouille ; je puis vous assurer aujourd’hui que ma parfaite inexpérience d’une exploration archéologique m’inspirait de grandes inquiétudes à ce sujet. Mais la fortune vient de nous sourire une première fois ; j’espère que ce ne sera pas la dernière »⁹¹Fermer91Lettre à Senart, Toumchouq, 5 novembre 1906, in P. Pelliot, Carnets de route, 1906-1908, Paris, Les Indes savantes, 2008 p. 355.. Les fouilles se prolongent jusqu’en décembre et la collecte est telle, avec ses 200 fragments, que Pelliot se demande s’il les emportera avec lui jusqu’à Ouroumtchi ou s’il ne vaudrait pas mieux les envoyer vers Paris à travers le Pamir. Au moment de partir, Pelliot choisit finalement d’emporter les caisses avec lui, les liaisons entre Kachgar et le Turkestan russe n’étant pas très sûres. Forte de cette réussite, qui permet à Paris de rivaliser avec Berlin, la mission se déplace alors vers Koutcha. Cette expérience nouvelle a convaincu Pelliot qu’il vaut mieux procéder à des déblaiements complets de sites soigneusement choisis, plutôt que d’opérer en passant et superficiellement ⁹²Fermer92Lettre à Senart, Toumchouq, 20 novembre 1906, in P. Pelliot, Carnets de route, 1906-1908, Paris, Les Indes savantes, 2008, p. 359.. Le succès des fouilles de Tumushuke vaudra un peu plus tard une rallonge de crédits accordée par le ministère de l’Instruction publique, comme l’indique une lettre du directeur de l’Enseignement supérieur, l’historien Charles Bayet (1849-1918), adressée à Pelliot le 9 février 1907 : cette lettre lui apprend que l’indemnité de mission est portée de 10 000 à 15 000 francs pour faire face aux dépenses supplémentaires entraînées par le déblaiement du temple de Toum-Choug⁹³Fermer93Lettre reçue à Koutcha le 7 juin 1907, Papiers Pelliot, musée Guimet, Mi 36..